Après avoir discuté la matière noire, il est naturel de décrire l'énergie noire. Ceci n'est cependant pas possible sans une digression ver la constante cosmologique:

 

 

La constante cosmologique

Thierry J.-L. Courvoisier

Mai 2019

La gravitation s’exerce sur tous les corps. Il est donc naturel de considérer l’influence qu’elle a sur la structure de l’univers, c’est à dire sur les plus grandes échelles de distances qui nous soient accessibles. C’est ce que fit Friedman au début des années 1920 en partant de la description qu’Einstein avait donnée de la gravitation.

Il est alors devenu apparent qu’il n’existe pas de solution statique aux équations d’Einstein lorsqu’elles sont appliquées à l’Univers. Toutes les solutions évoluent dans le temps. Cette constatation a profondément dérangé Einstein pour qui l’Univers se devait d’être immuable. Il a donc cherché à modifier ses équations pour permettre de trouver des solutions cosmologiques plus conformes à sa vision du monde.

Les équations originales d’Einstein s’écrivent :

                                                                         Gμν= 8ΠG/c4 Tμν .

La modification apportée par Einstein est l’ajout d’un terme dans la partie gauche de l’équation :

 

                                    Gμν + Λgμν= 8ΠG Tμν .

 

Λ est ce que l’on nomme la constante cosmologique.

Il n’y a nulle besoin ici de comprendre ce que les différents termes représentent au delà de savoir que la partie gauche de ces équations est une représentation de la géométrie de l’espace alors que la partie droite contient une description du contenu en masse et en énergie de cet espace. On est par contre en droit d’admirer l’élégance et la sobriété de la formulation.

Peu d’années après l’introduction de la constante cosmologique, Georges Lemaître a fait des mesures de vitesses de galaxies et constaté qu’elles s’éloignent de nous. Il en a déduit l’expansion de l’Univers [1]. Lemaître a ainsi montré par des observations que l’Univers n’est pas statique et qu’il satisfait aux équations que Friedman avait déduites des équations d’Einstein sans l’ajout de la constante cosmologique. Celle-ci n’était donc pas nécessaire à la compréhension de l’Univers.

Il serait donc possible de simplement « oublier » la constante cosmologique.

Il y a cependant deux difficultés dans ce possible oubli volontaire. Tout d’abord les équations modifiées satisfont, comme les équations originales, tous les critères exigés pour une description satisfaisante de la gravitation. Il est donc difficile de préférer une version à l’autre sans arguments solides. On peut aussi prendre la seconde version des équations et postuler que Λ=0. Mais il faudrait alors comprendre pourquoi cette constante aurait cette valeur particulière. Or aucun argument théorique ne permet de l’affirmer.

Dans cette incertitude, la communauté a repoussé la constante cosmologique dans un recoin de la pensée. Elle a continué de travailler en utilisant les équations originales d’Einstein -sans constante cosmologique-, tout en gardant en mémoire que le terme additionnel pourrait bien avoir un sens et revenir une fois sur le devant de la scène.

Einstein aurait dit que l’ajout du terme cosmologique dans ses équations avait été sa plus grande erreur. Il est intéressant de se souvenir que cet épisode se situe des années 1920 alors que l’évolution de la vie, mise en évidence par Darwin et d’autres, et celle de la géologie était alors déjà connue depuis plusieurs décennies. Malgré cette connaissance bien établie, il n’était pas imaginable pour Einstein et pour d’autres que l’Univers évoluât. L’observation seule est venue à bout de cette préconception grâce à Lemaître, un prêtre catholique.

 

 


[1]Notez que c’est Lemaître et non Hubble comme le plus souvent malencontreusement dit qui est à l’origine de notre connaissance de l’expansion de l’Univers.