Ce texte a été écrit en janvier 2014. Président de l'académie suisse des sciences naturelles à cette époque, il me fallait me faire une opinion sur le débat en cours.

 

Un débat vif a lieu en Suisse à propos du génie génétique vert, celui qui traite du génome des plantes par opposition au génie génétique rouge dont l'objet est les applications bio-médicales.  Dans le cadre de ce débat il a fallu que l'astrophysicien que je suis apprivoise les points de vue et synthétise la position élaborée par les  biologistes pour rendre compte de la position de l'académie suisse des sciences naturelles et des académies au cours de débats publics ou au sein d'une commission parlementaire.

Le texte qui suit est une mise en forme de cette synthèse. Il représente  mon analyse et les conclusions que j'en tire. La position du fonds national suisse est à trouver dans les résultats du programme de recherche PNR 59 et celle des académies dans le rapport "le génie génétique dans l'agriculture".

Cette synthèse provient essentiellement de

-"Les plantes cultivées génétiquement modifiées et leur importance
pour une agriculture durable en Suisse," P. Matthias et al. 2013 (http://www.akademien-schweiz.ch/fr/index/Publikationen/Berichte.html)
-Les résultats du programme national de recherche No 59: http://www.nfp59.ch/f_index.cfm
-Le rapport "Planting the future: opportunities and challenges for using crop genetic improvement technologies for sustainable agriculture" de l'EASAC, European Academies Science Advisory Council".  EASAC policy report 21, June 2013 (http://www.easac.eu/home/reports-and-statements/detail-view/article/planting-the.html).

Les références à des travaux spécialisés sont à trouver dans ces trois rapports. La position décrite ici n'engage que son auteur.
 
<strong>Le génie génétique dans le contexte</strong>

Une partie en tout cas de l'identité de chaque individu, animal, plante et cellule se trouve encodée dans le génome. L'évolution, le changement des propriétés d'espèces, est causée par des transformations de ce génome au fil des générations d'individus. Des gènes sont modifiés et insérés dans la reproduction de la vie par de multiples phénomènes naturels.  Des virus,  des réactions chimiques, les rayons cosmiques ou encore la radioactivité naturelle sont parmi les vecteurs dont la nature se sert pour faire évoluer  les génomes de toutes les espèces vivantes, des organismes unicellulaires aux êtres humains.  Les mutations sont un processus naturel et constant qui permet aux organismes d’acquérir de nouvelles fonctions.

L'humanité a appris tout d'abord empiriquement à sélectionner les organismes qui l'intéressent et à les amener à se reproduire entre eux de manière à optimiser leurs propriétés pour son usage. L'agriculture et l'élevage sont des exemples frappant de cette pratique millénaire. Les plantes cultivées et les animaux tant de compagnie que d'élevage n'ont qu'un très lointain rapport avec les espèces dont ils sont issus. C'est ainsi que les chiens de compagnie, les caniches par exemple, diffèrent considérablement des loups, leurs lointains ancêtres. Il a fallu faire évoluer le génome du loup considérablement pour en arriver là. Ce n'est jamais en faisant se reproduire naturellement des loups que l'on obtiendra un caniche. Le même raisonnement tient pour les plantes cultivées.

Récemment, la radioactivité a été utilisée pour induire des transformations génétiques plus rapidement que ce n'est possible naturellement pour faire muter des organismes et générer ainsi des espèces qui répondent mieux à certains critères. Curieusement cette technique n'est pas considérée comme du "génie génétique".

Les techniques du génie génétique à proprement parler sont issues, comme les autres technologies développées par le génie humain au fil des millénaires, d'imitations de la nature. Ces techniques conduisent à ce que des gènes soient spécifiquement introduits dans un génome. Elles permettent une approche beaucoup plus ciblée des propriétés que l'on désire modifier que les méthodes qui laissent au hasard le soin de choisir les gènes qui sont changés.

Les technologies résultant du génie génétique et celles qui ont évolué de la pratique agricole au fil des siècles se distinguent de moins en moins. L'utilisation de la radioactivité parmi les outils "classiques" illustre ce rapprochement.

Il ressort de cette analyse qu'il est important de juger les espèces et organismes dont l'évolution a été modifiée par des processus humains  sur leurs propriétés et non sur les technologies utilisées pour les développer.

 

Bénéfices du génie génétique vert

 

Il y a des plantes génétiquement modifiées qui peuvent être d'un apport certain dans l'agriculture mondiale et en Suisse. Maintenant ou dans l'avenir  (p.e. Pommiers résistants au feu bactérien, betteraves sucrières, pommes de terre résistantes aux maladies).


Dans un certain nombre de cas il a été démontré que les plantes génétiquement modifiées permettent d'améliorer la bio-diversité, par exemple en permettant de diminuer une surface cultivée pour laisser plus de place aux autres espèces. Elles peuvent donc contribuer à une agriculture plus durable.

Le riz doré, une sorte de riz enrichi de vitamines, promet de résoudre des problèmes de malnutrition et de malvoyance dans de grandes régions pauvres du globe.

Dans un avenir proche, il devrait être possible de cultiver des plantes plus résistantes à la sécheresse, un atout considérable pour des régions touchées par une diminution des ressources en eau induite par le réchauffement climatique.

 

Dangers liés à la technologie

 

Il n'y a pas à ce jour d'évidence que les techniques du génie génétique induisent par elles-même des risques. Ce qui n'est pas équivalent à dire que des plantes génétiquement modifiées  ne peuvent être dangereuses. Il faut, ici aussi, juger les organismes et non la technologie de développement.

Il existe bien des études qui concluent que la technologie pourrait être dangereuse. Il semble cependant que ces conclusions soient largement dues à des expériences inappropriées ou à des analyses statistiques insuffisantes. (Ceci est en particulier vrai de l'étude de Séralini et al. (Food Chem Toxicol. 50(11):4221-31.) qui a été retirée en décembre 2013.)

Ceci étant, ne pas trouver de danger spécifique aux technologies génétiques  n'est pas équivalent à démontrer qu'il n'y a pas de danger. Il est toujours difficile, voire impossible, de démontrer une absence de quoi que ce soit. C'est pourquoi il faut rester vigilant dans le suivi de toutes les technologies biologiques, quelles soient issues du génie génétique ou d'autres pratiques.

En faisant une analyse de risque, il importe encore de considérer aussi les risques liés au non-développement des technologies. Dans le cas du génie génétique il faut en particulier savoir que les besoins alimentaires de l'humanité pourraient croître par un facteur deux dans les prochaines décennies alors que les terres arables diminuent et les conditions climatiques changent. Tous les outils à notre disposition, y compris probablement le génie génétique, seront nécessaires pour faire face à cette évolution; une meilleure distribution des richesses, bien que nécessaire, ne sera pas suffisante.

Ne pas mener le travail sur le riz doré à son terme et ne pas le commercialiser implique que l'on prive les populations concernées de ses avantages, vitaux pour elles. Ce risque est bien réel.

 

Génie génétique et recherche

 

En Suisse, comme ailleurs en Europe, la population et le monde politique imposent des restrictions au développement et à l'utilisation du génie génétique vert (par opposition au génie génétique rouge bio-médical). Une succession d'interdits mettra cependant  petit à petit à mal la communauté de chercheurs en bio-technologies, avec tous les risques associés de pertes d'expertise dans tous les étages de la société.

 

Génie génétique et industrie agro-alimentaire

 

Une grande partie des arguments entendus dans les débats à propos du génie génétique vert sont liés à des pratiques agricoles intensives, impliquant des monocultures à grande échelle dans le monde. Ces pratiques sont jugées par beaucoup comme étant néfastes à terme à la productivité de régions entières et souvent très peu sociales.

Cette discussion est légitime, mais ce n'est pas la discussion des technologies de génie génétique. Il faut dissocier dans les argumentations les pratiques agricoles de la technologie per se.

Il est cependant vrai que le génie génétique est, pour le moment, une technologie lourde souvent dans les mains de grand consortia internationaux. Cette proximité entre le développement de la technologie et l'industrie agro-alimentaire rend la confusion des débats facile.

 

Pouvoir privé et pouvoir public

 

Quelle que soit la technologie utilisée pour produire les graines utilisées dans l'agriculture, celui qui détient cette technologie a un pouvoir immense. Notre nourriture dépend directement de cet élément de la chaîne agricole. Le pouvoir associé à cette branche n'est pas seulement économique, c'est d'un pouvoir vital dont il s'agit.

Une grande partie de la recherche, et donc du savoir, en biologie appliquée est en main de grande firmes privées. Le pouvoir qui découle de ce savoir échappe donc en partie aux collectivités publiques.

Au vu du potentiel très important des technologies génétiques, il est essentiel que nos sociétés gardent une maîtrise complète du savoir et des technologies. La recherche publique doit donc rester à un niveau compétitif avec la recherche privée.

 

Polémique

 

Il y a toujours des scientifiques qui mettent les positions acquises en doute. Certains pour de très nobles motifs. La présence de minorités plus ou moins vocales se trouve dans le domaine des technologies génétiques, vertes ou rouges, mais aussi dans celui du réchauffement climatique, dans l'origine virale du sida, voire même la relativité générale. Les opinions minoritaires sont importantes pour poser des questions que la majorité pourrait ignorer et garder ainsi la communauté scientifique vigilante. Cependant plus  l'évidence en faveur d'une théorie ou d'une interprétation devient solide, plus le questionnement minoritaire doit devenir précis et solide. Devant un consensus  posé sur une assise expérimentale ferme, il ne suffit plus de clamer un point de vue, il faut l'élaborer avec rigueur et précision.


La presse de son côté se régale d'amplifier des points de vue qui créent la polémique. Ici aussi le discernement devient plus important au fur et à mesure que le consensus se construit.

 

Conclusion

 

Renoncer à l'apport du génie génétique vert dans des applications agricoles ou autres par principe et par voie légale n'apporte aucune plus-value à nos sociétés.


Même si, et c'est le cas, les avantages économiques des plantes génétiquement modifiées sont maintenant faibles (en particulier à cause de la réglementation), il ne faut pas hypothéquer ce potentiel pour l'avenir.