Appeler à des investissements “durables” ou “verts” sans se donner les moyens de savoir quels sont ces investissements n’est que d’une utilité symbolique.

Nous entendons souvent ces temps des appels pour une économie et des investissements “durables” ou “verts”. A côté du monde de la politique, les investisseurs possèdent  en effet un outil puissant  à même de transformer nos sociétés et donc  de contribuer à garder notre planète dans un état tel qu’elle puisse rester hospitalière pour nos civilisations. Les appels à verdir économie et investissements partent d’une volonté louable et d’un souci réel de leurs auteurs.

Appeler à des investissements responsables, ou quelque soit l’adjectif utilisé pour les caractériser, demande de savoir  comment déterminer si un investissement rempli les critères sous-entendus par les diverses qualifications utilisées. S’il est probablement aisé de savoir qu’investir dans l’exploitation du charbon est particulièrement nocif pour le climat, il est certainement beaucoup plus difficile de savoir quelles technologies biologiques doivent être développées ou comment nombre de moyens technologiques doivent ou peuvent être mis en oeuvre.

De tels décisions requièrent une profonde connaissance de la planète, des lois de la nature, des technologies, de  notre psychologie, de nos sociétés et des interactions entre tous les éléments en jeu. Diminuer l’emprunte carbone des transports, par exemple, requiert une analyse des besoins des sociétés, de la situation présente des véhicules, des modes de transport, des technologies en cours de développement. D’autres questions par exemple ayant trait aux carburants d’origine biologiques amènent à des réflexions peu intuitives:  Bien qu’apparemment évident, utiliser du bois plutôt que des carburants fossiles est  généralement nocif pour le climat, car le CO2 libéré par la combustion du bois passe directement dans l’atmosphère et ne sera réintégré dans des arbres qu’une génération plus tard, alors que c’est maintenant que nous devons réduire la densité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (https://easac.eu/press-releases/details/easac-s-environmental-experts-call-for-international-action-to-restrict-climate-damaging-forest-bioe/)  Ces questions ont été traitées dans des rapports de l’EASAC, European Academies Science Advisory Council, et par bien d’autres académies.  Ces exemples ne représentent qu’une toute petite fraction des questions qui doivent être maitrisées pour diriger les investisseurs vers des engagements durables. Les investisseurs institutionnels (caisses de pension par exemple) ou privés n’ont certainement pas le personnel et les outils nécessaires  pour évaluer les impacts sur la planète, le climat et la biodiversité des industries et sociétés qu’ils soutiennent; les intermédiaires, les banques par exemple, ne sont pas non plus particulièrement bien dotés en personnel scientifique.

Prendre des décisions à propos d’investissement est par essence lié à la recherche de profit et donc à des intérêts industriels et financiers parfois colossaux.  Des pans entiers de nos économies sont en jeu. Evaluer des technologies ou des sociétés dans ce cadre ne peut que rendre la recherche d’objectivité et de rigueur scientifique encore plus difficile que ce n’est le cas dans le monde académique actuel.

Les gouvernements ont des intérêts à défendre, ne serait-ce que la réélection des tenants de mandats d’autorité. Prendre des décisions économiques potentiellement impopulaires dans ce contexte est une tâche difficile, voire impossible. Ce ne sont donc probablement pas les institutions les plus à même de contribuer à évaluer les potentiels de grandes options économiques. Les partis politiques représentent souvent des groupes d’intérêts économiques ou des idéologies qui sont autant d’a priori peu à même de produire des stratégies d’investissement libres de préjugés. Par exemple,  investir dans des technologies nucléaires ou dans des technologies de génie génétique pourrait dans certaines conditions apporter des solutions  solides à de réelles difficultés.  Malgré ce potentiel   il existe des a priori  négatifs vis à vis de ces technologies qui sont érigés en dogme par certaines communautés et empêchent leur mise en oeuvre là où elles pourraient être nécessaires.  

Former un jugement relevant  dans nos sociétés sur les lignes de développement économique prometteuses est une tâche colossale qui requiert connaissance, liberté de pensée, indépendance économique et politique.

Les académies ont, en principe, l’indépendance d’esprit  requise et sont aussi libres d’intérêts financiers et économiques qu’une institution peut l’être. Elle disposent en leur sein et dans les cercles qui leur sont proches des connaissances scientifiques (dans le sens le plus large, incluant sciences humaines et sociales) nécessaires. Elles pourraient donc jouer un rôle clé dans le conseil aux investisseurs. Mais pour que ceci puisse devenir une réalité, les académies devraient renforcer considérablement  leurs structures et augmenter de manière drastique les moyens à leur disposition. Une telle évolution devrait se faire en garantissant leur liberté de réfléchir, de travailler et de publier.

Que se soit des académies existantes ou de nouvelles structures qui soient chargées de poser un jugement sur les développements économiques, nous devons nous doter des outils dont nous avons besoin pour répondre aux appels lancés en faveur d’une économie verte.